Colorer ou colorier notre monde… 

Il y a peu, j’ai vu à la Comédie Française l’adaptation du « Côté de Guermantes », je n’ai pas adoré mais ce n’est pas le sujet, la scène des souliers rouges dans laquelle Proust utilise une métaphore synesthésique* m’a inspiré mes réflexions du jour.

J’ai eu envie de vous parler de couleurs !
Cela peut paraitre consensuel, pourtant il existe une multitude de couleurs auxquelles s’ajoutent leurs nuances, leurs transparences et leurs opacités…De plus chaque culture en a une perception différente selon son climat, sa géographie, son histoire et ses traditions, en vérité le sujet est abyssal.

Enfant, quand je suis arrivée à Paris, je me souviens… avoir regardé par la fenêtre de l’hôtel et pensé : c’est ça Paris ? Ben, c’est gris. Je découvrais les vêtements majoritairement bleus marine, noirs et gris, qui étaient dans mon esprit d’alors des « non-couleurs ». Bien plus tard, l’ai lu que le gris est la couleur de la transition, du devenir et celle de nos fameuses cellules.

Des études concluent que le bleu est la couleur la plus populaire (nb : sur un panel de 26 pays), suivi du rouge et sans surprise que selon le contexte socio-culturel les goûts varient, que le choix d’un même individu change selon l’usage, par exemple il va préférer le rouge pour un vêtement mais le bleu pour une voiture etc. Enfin les neurosciences ont montré que 12% de la population rêve en noir et blanc, et vous, avez-vous déjà rêvé en couleurs ? 

Les couleurs vives et contrastées facilitent la mémorisation tandis que les autres la rendent plus difficile. Les couleurs influencent donc nos perceptions et notre mémoire, ce n’est pas rien non ? 
On a tous le souvenir d’une couleur qui cristallise une émotion, que ce soit le jaune d’un jouet, le rouge d’une fleur , les camaïeux verts d’un paysage ou le bleu des yeux d’une personne, les couleurs de nos souvenirs sont très subjectives selon l’âge et le contexte.

Dans le questionnaire qui porte son nom, à la question : la couleur que je préfère ? Proust encore lui, répondait par cette esquive, « la beauté n’est pas dans les couleurs mais dans leur harmonie ».
J’approuve entièrement !
Lorsque j’accompagne un.e client.e dans le choix d’une couleur je devine certains traits de son tempérament et de son humeur, je conseille de se regarder de pied avec du recul et en lumière de jour quand il y en a encore. Je n’aime pas influencer le choix d’une couleur, je trouve ça trop personnel, je préfère guider pour le choix de la forme et du volume.

Le bijou est souvent l’expression d’un sentiment, peut-être est-ce même pour cela que j’en ai fait mon métier, or une couleur convoque, c’est une affirmation, c’est dire : « Voilà la couleur de mon sentiment, de mon humeur » c’est colorer et colorier le moment.
Et vous, quelle couleur préférez-vous pour un bijou ?

*Swann annonce aux Guermantes qu’il est mourant, Basin minimise la nouvelle et détourne toute l’attention en se scandalisant des souliers de son épouse qui sont noirs plutôt que du même rouge que sa robe…Quelques tomes plus tard (dans le temps retrouvé) en mourant Swann rappelle cette scène poignante à Oriane qui elle se souvient desdits souliers comme… dorés ! Souvent employée par Proust, la synesthésie ici colore l’émotion de Swann, le déni du Duc, et le souvenir d’Oriane: le noir de la mort annoncée auquel répond le rouge de la puissance ou de la jalousie et enfin le doré, celui des ors de l’aristocratie ou des sandales des Dieux dans la mythologie.